Meunier, tu dors … au pied de l’église

Juste à droite de la porte d’entrée de l’église Saint Amand, vous remarquerez une lame funéraire rectangulaire en pierre de taille rudimentaire encastrée dans le pan de maçonnerie de briques rouges et coincée entre un chaînage d’angle de la tour du clocher et le montant droit du chambranle de porte, ces deux éléments clairs en pierres de Gobertange. L‘épitaphe gravée est difficile à déchiffrer ; on peut y lire :

Cette lame funéraire ne peut échapper aux regards des fidèles qui entrent dans l’édifice ! Qui peut bien être ce François Stas, « rentier et bienfaiteur de cette église » ?

La carte Popp¹ de 1840-1858 et le relevé cadastral de la Commune de Hamme-Mille qui l’accompagne, nous fournissent de précieuses infos à ce sujet. On y découvre que François Stas (57 ans à cette époque), notaire à Louvain, est le propriétaire du moulin (à eau) de Litrange et de toutes les parcelles de terre qui y sont rattachées sous le nom de « Pré de Litrange », soit d’une superficie totale de près de 16 bonniers.

Comme le montre l’extrait de carte ci-dessus, ce notaire de Louvain  est un gros propriétaire terrien sur la commune de Hamme-Mille à quelques centaines de mètres du centre du village.

Il a reçu tout cet ensemble de ses parents, Gérard Stas, notaire à Louvain, et Marie Jeanne Van Hooff. Ceux-ci l’ont acquis le 10 septembre 1781. Il appartenait au Duc d’Arenberg, d’Aerschot et de Croÿ d’Heverlee. L’acte² est passé par devant le notaire Pierre Bisschop de Louvain ; le Duc y est représenté par son maître forestier (du bois de Meerdael), Guillaume Decoster, à qui il a remis, par procuration, plein pouvoir pour conclure ce transfert de propriété des terrains et prairies de « Littrange ».

Tarlier et Wauters³ (1872) considère les deux moulins à eau⁴ comme les deux seuls « établissements industriels à Hamme. Ils ont chacun une roue et deux couples de meule et servent à moudre le grain. Le moulin de Litrange (ou Lietheringen) existe depuis plus de quatre siècles… » Tarlier et Wauters y parle de « … la reconstruction de l’usine… » car « Charles de Croy, duc d’Aerschot, prince de Chimay, fit construire en cet endroit une forge et un moulin pour travailler le fer….Comme ce seigneur ne pouvait se procurer du minerai en quantité suffisante, le gouvernement des Pays-Bas l’autorisa par octroi en date du 17 mars 1598 à faire rechercher et extraire toutes les « mines de fer » qui existeraient aux alentours dans un rayon de 5 à 6 lieues. En 1686, le moulin que l’on appelait alors le Moulin de fer (den Yseren molen) était loué…L’usine est située à 50 mètres 53 au-dessus du niveau de la mer. Elle appartient à M. François Stas… ».

Le bief longeait la façade latérale de l’actuel moulin en court-circuitant le long méandre que « le ruisseau du Moulin » fait jusqu’au « chemin de Nethen ». Subsiste, juste après le coude du ruisseau, à proximité de l’entrée du moulin, la porte-vanne (ou « l’Eclusette ») au droit d’une petite cascade. Ce petit ouvrage hydraulique – qui mériterait une restauration devenue urgente – présente un intérêt paysager, écologique et éducatif évident sans parler du plaisir qu’il procure aux enfants et promeneurs qui parcourent fréquemment la rue Les Claines.

L’appellation des noms des chemins qui menaient du village à ce moulin reflète bien l’importance socio-économique qu’avait alors ce moulin dans la vie du village. Sur la carte Popp¹, « le chemin du moulin de Litrange » recouvre l’actuelle rue Les Claines prolongée par la rue Scheers jusqu’au lieu-dit « le Plain » où il rejoint « le Vieux chemin de Louvain ». D’autres vieux plans de Hamme³ reprennent, outre la localisation du moulin, la direction à suivre pour s’y rendre à travers les appellations usitées pour nommer tant le tracé actuel de l’axe « rue Goemans – rue Ménada » « chemin de Hamme au Moulin de la Forge » que le tracé de l’axe ruelle Saint Nicaise-Bois Nicaise-rue Delherse sous l’appellation commune « chemin du Moulin de la Forge ».

Pas étonnant qu’un tel gros propriétaire terrien et acteur socio-économique du village ait fait bénéficier l’église de ses largesses. Mais nous n’avons pas retrouvé jusqu’à présent le registre de la Fabrique d’église de l’époque qui permettrait sans doute de préciser la nature de ses bienfaits.

François Guillaume Théodore Stas, veuf de Marie Elisabeth Meulemans,  s’est éteint à Louvain le 3 juin 1864 à l’âge de 81 ans et fut enterré le 6 juin dans notre cimetière auprès de l’église comme consigné dans le registre des décès de la paroisse (1841-1908) par le Curé Guillaume Ruelens.

Le moulin est resté dans les mains de la famille Stas jusqu’en 1892. Il a ensuite changé de mains en 1896 et 1919 avant d’aboutir dans la famille Detroyer en 1954 suite à l’achat par Leo-Victor Detroyer-Cieters, le père des enfants Detroyer bien connus à Hamme-Mille. L’activité du moulin a cessé en 1957. La grande roue a été démontée en 1990.
Au cours du temps, une partie limitée des terrains du Pré de Litrange ont fait l’objet de développement de type immobilier (principalement le long des rues Ménada et Pré de Litrange, …). Sur la grande partie des terrains situés en zone humide, voire inondable, a  été établi en 2003 le grand bassin d’orage « Les Forges » pour régulariser les crues soudaines de la Néthen. L’arasage récent des hauts arbres plus que cinquantenaires qui bordaient le Ry Saint-Martin nous permet aujourd’hui d’embrasser d’un seul regard ce vaste espace qui constitue aussi une zone de protection naturelle remarquable.

Juin 2021, Jean-Luc Lecluse