Quand vous montez l’escalier qui mène de la rue Goemans au parvis de l’église Saint-Amand, vous avez sans doute déjà remarqué sur votre gauche la grande croix en pierre bleue qui est adossée à un mur de moellons maçonnés et qui semble surveiller ledit parvis.
Il s’agit d’une stèle funéraire en mémoire d’ Alexandrine Van Dormael comme nous le révèle l’épitaphe suivante inscrite en latin sur cette pierre :
« HIC JACET R(everen)DA DOMINA ALEXANDRINA – VAN DORMAEL, ABBATISSA HUJUS – MONASTERII, QUAE OBIIT 6TA 9BRIS 1787 – R.I.P.»
Ce qui signifie : « Ci-gît la Révérende Mère Alexandrine Van Dormael, abbesse de ce monastère, qui décéda le 6 novembre 1787 – R.I.P. ».
La pierre est décorée de 2 motifs: une croix rayonnante composée d’urnes dans la branche verticale haute et deux os croisés dans la branche basse. Les restes de mortier et de pierre présents sur la partie supérieure de la croix laissent penser que cette surface a été abimée et rafistolée ou qu’elle était peut-être coiffée d’un autre motif qui a disparu.
Cette croix funéraire est reprise à l’inventaire de l’I.R.P.A. (objet n° 10040591) et photo M084610 de 1972.
1 – La croix funéraire 2 – Le visage d’Alexandrine Van Dormael*
(Photo: J.L Lecluse, 2018) (Photo: J.L. Lecluse, 2018)
Alexandrine Van Dormael fut l’avant-dernière abbesse de Valduc comme nous l’apprend le texte suivant de Thierry Bertrand1: […] Au 18e siècle, l’abbaye de Valduc connaît maintes difficultés : à l’externe, de nouveaux passages de troupes (1703, 1705 et 1707) et à l’interne, une véritable fronde menée par la prieure à l’endroit de l’abbesse considérée comme trop exigeante. Thérèse Fiocco (1730-1768) et Alexandrine Van Dormael (1768-1787) (avant-dernière abbesse) président au dernier éclat de Valduc […]1.
Il y a donc tout juste 250 ans, cette abbesse issue d’une famille bien de chez nous (de grands fermiers du Brabant) fut élue à la tête de cette abbaye qui a tant marqué le passé de notre village. Joseph Tordoir nous en apprend davantage dans ses «Notes sur Alexandrine Van Dormael»2:
[…] Née… à Willebringen (hameau de Boutersem) où elle fut baptisée en 1727, elle est la fille de Michel Van Dormael – né à Beauvechain le 27 septembre 1686 – et de Marie-Elise Nys, originaire d’Opvelp[…] où Michel sera aussi échevin […] Alexandrine entra en religion durant l’année 1752, à l’âge de 25 ans alors que l’abbaye cistercienne de Valduc était placée sous la direction matérielle et spirituelle de Thérèse Fiocco […] le 7 mai 1768, Alexandrine fut choisie par ses semblables pour prendre la tête de la communauté religieuse au sein de laquelle elle assumait alors la fonction de sacristaine […] Agée de 41 ans à l’époque de son entrée en fonction, l’abbesse Van Dormael réussit à maintenir le niveau d’aisance matérielle de son institution […] Huit années plus tard, elle patronna officiellement l’ouverture, dans les murs de l’abbaye d’une école initialement destinée aux jeunes filles pauvres habitant les environs [….]2.
Alexandrine a laissé bien d’autres traces de son office à divers endroits du Brabant (Terlanen « pastoraal huys », Overijse, Grez, Doiceau -« chapelle Saint-Pierre», …), les possessions (terres, droits et impôts divers, …) de Valduc débordant largement au-delà des limites de Hamme-Mille…
[…] Elle s’éteignit à Louvain dans la nuit du 6 au 7 novembre 1787, dans le refuge que son abbaye y possédait (au coin de la « Naamsestraat, – » et du « Sint-Antoniusberg »). Le lendemain, son corps fut ramené à Hamme-Mille et inhumé dans le caveau des anciennes abbesses implanté dans le chœur de l’église abbatiale […]2
Comment ce monument funéraire a-t-il abouti à son emplacement actuel ?
Le corps d’Alexandrine ne gît certainement pas sous cette croix qui a dû couronner le caveau de son inhumation initiale (selon la date de 1787 reprise dans la fiche correspondante de l’inventaire de l’I.R.P.A.) dans le chœur de l’abbatiale ou, peut-être, rehausser le lieu d’inhumation retenu lors du transfert ultérieur de la dépouille.
Rappelons-nous que l’abbaye fut fermée en 1796/1797 puis vendue le 20 mars 1800. L’abbaye fut ensuite démolie lors de la cession du domaine au notaire Neefs de Louvain, ancien curateur de l’abbaye. On peut penser que ceci entraîna le transfert de la dépouille d’Alexandrine, soit vers un autre emplacement du domaine (cimetière des moniales…?), soit, plus vraisemblablement, vers le cimetière paroissial tout proche entourant l’église de Hamme. La croix funéraire pourrait avoir été construite à l’occasion de ce 1er déplacement et ceci justifierait le «Hic jacet» de l’épitaphe.
Qui s’est chargé de récupérer et de déplacer la dépouille? Sans doute, des membres de la famille puisqu’Alexandrine avait des parents proches établis à proximité immédiate de Hamme2. L’intervention de l’un des propriétaires successifs de Valduc (Barthélémy Werry, le notaire Neefs, le professeur Desgranges, l’avocat van den Schrieck, le docteur Pierre Craninx, …) n’est pas à exclure.
Le château actuel de Valduc fut construit en 1867 et la tombe est finalement décrite par Tarlier et Wauters3 en 1872 «faisant face à l’abside» de l’église actuelle (opérationnelle depuis 1830).
La position actuelle du caveau monumental de la famille Craninx accolé à l’abside laisserait supposer qu’un nouveau transfert au moins a eu lieu pour permettre l’implantation de ce caveau à cet endroit. Cette place «en vue», aurait-elle été dédiée dans un premier temps à la tombe de la dernière abbesse de Valduc issue de notre terroir (au pied du Christ en croix appliqué sur la façade?) puis cette tombe déplacée pour faire place au caveau de cette famille propriétaire du domaine de Valduc?
Elle a dû aboutir – au plus tard – à son emplacement actuel lors de la désaffectation du cimetière ancien entourant l’église et lors de la construction du muret à la fin des années 1950…
Le portrait-tableau d’Alexandrine
L’inventaire de l’I.R.P.A. (objet 10013968) comporte aussi un portrait d’Alexandrine Van Dormael (cliché M168976). Il s’agit d’une peinture à l’huile sur toile qui se trouve présentement au Château de Beausart à Bossut-Gottechain. Grâce à M. Quentin Roberti, il m’a été possible d’examiner et de photographier cette toile (photo 1 ci-dessous). Réalisée par l’artiste-peintre François Xavier Joseph Jacquin vers 1770-1780, ce tableau mesure 136,5 cm (hr) par 100,5 cm (lr).
1 – Portrait tableau d’Alexandrine Van Dormael (Photo: J.L. Lecluse, 2018)
Sur le mur sur la droite d’Alexandrine est représenté un écusson avec ses armoiries et sa devise: «In iustitia et sanctitate» (En justice et sainteté). On retrouve le même écusson sur les 2 faces du sceau d’Alexandrine (photos 2 et 3 ci-dessous).
2 et 3 – Sceau d’Alexandrine (Photos: AGR6)
Ce portrait devait se trouver initialement dans la grande salle de réception de l’abbaye comme ceux des différentes abbesses précédentes et celui de Victoire Schlutter, dernière abbesse de Valduc qui a succédé à Alexandrine.
[…] Un jour d’octobre 1795, l’abbaye fut apparemment livrée au pillage d’une bande de républicains, issus du voisinage, qui endommagea l’ensemble de ces tableaux à coup de sabres et de baïonnettes […]2,3.
Les toiles représentant Victoire Schlutter et Alexandrine Van Dormael (les deux dernières abbesses) survécurent à ce pillage puis à la suppression de l’abbaye, intervenue officiellement en octobre 1796.
La toile figurant l’abbesse Alexandrine Van Dormael, appartient à la famille Roberti de Winghe, propriétaire du château et de la ferme de Beausart, sis sous Bossut-Gottechain. La petite nièce d’Alexandrine, Anne-Marie Françoise Van Dormael, née à Bossut en novembre 1788, épousa le 17 juin 1826, dans sa paroisse natale, le notaire Guillaume Roberti, né à Rhode-Sainte-Agathe en novembre 1784.
Les descendants de ce couple ont conservé précieusement, à Louvain en l’étude des notaires Roberti, le tableau de leur parente avant de le ramener, il y a quelques années au château de Beausart.2,5
Si un lecteur disposait de l’une ou l’autre information me permettant de clarifier le périple historique du monument funéraire dédié à Alexandrine Van Dormael, merci de bien vouloir prendre contact avec moi !
Le 16 août 2018, Jean-Luc Lecluse, avec la collaboration d’Anne-Marie Wautié
1 : Thierry BERTRAND, « VALDUC, abbaye de moniales cisterciennes à Hamme » – 2010-06, d’après Jacques LAVALLEYE – Histoire de l’abbaye de Valduc, Bruxelles, Librairie Albert Dewit, 1926, 192 pages.
2 : Joseph TORDOIR, Hamme-Mille – Notes sur Alexandrine Van Dormael (1727-1787) Abbesse de Valduc, Wavriensia – n°6 – 2006 – pp.271-275
* : Photo partielle du portrait-tableau d’Alexandrine Van Dormael (voir la 2e partie)
3 : Jacques LAVALLEYE, Histoire de l’abbaye de Valduc, Bruxelles, Librairie Albert Dewit, 1926, 192 pages – p158
4 : J. TARLIER et A. WAUTERS, Extrait de Géographie et Histoire des Communes Belges – Province de Brabant – Canton de Jodoigne, août 1872 – A.DECQ, EDITEUR – p171.
5 : CHAW (Cercle Historique, Archéologique et Généalogique de Wavre et du Brabant wallon), Généalogie de la famille Van Dormael, dite de Beausart, Note dactylographiée sans nom d’auteur.
6 : AGR – Site internet : collection des moulages des sceaux des Archives Générales du Royaume