
Châtelain de Valduc à Hamme-Mille
En 1867, Pierre Craninx, propriétaire de Valduc, charge l’architecte, Gérard van der Linden (1830-1911), lauréat du Prix de Rome et professeur de sculpture à l’académie de Louvain, de construire un nouveau château sur le domaine. Il décède dans ce château le 17 août 1890 et est enterré au vieux cimetière de Hamme-Mille dans le caveau familial.
Dans un numéro précédent de « Contact » (mars-avril 2019), nous avons fait état de l’apparition, en novembre 2018, d’un petit panneau communal placé devant le caveau-monument (voir photo ci-dessous) de la famille Craninx -Van den Schrieck, adossé au chevet du chœur de l’église en bordure de la rue des Messes. Ce panneau demande à ses représentants de se manifester d’ici le 15 novembre 2019.

Parmi les membres de cette famille enterrés à cet endroit, le plus illustre est sans doute Messire Pierre-Jean-Etienne Craninx né à Louvain le 17 novembre 1805.
En 1842, il épouse en premières noces Caroline Caroly mais celle-ci décède le 12 juillet 1843 sans lui avoir donné d’enfants. Pierre se marie une deuxième fois le 8 mai 1845 avec Emérence Van den Schrie(c)k, fille de l’avocat Van den Schrie(c)k, propriétaire du Château de Valduc à Hamme-Mille. Ce jeune couple habite d’abord à Louvain chez les parents Craninx rue de Tirlemont, 51 puis à partir de 1846 rue Léopold Ier, n° 1. Plus tard, ils déménageront au Château de Valduc à Hamme-Mille. Ils ont eu ensemble deux enfants : Oscar et Alix dont nous vous reparlerons dans le futur.
Une carrière exemplaire de professeur et médecin
Après des humanités brillantes suivies au petit-séminaire de Malines, il obtient en 1829 à l’université de Louvain, sans délibération du jury, par acclamation, son triple diplôme de docteur en médecine, chirurgie et accouchements.
Il commence à pratiquer comme médecin militaire dans la nouvelle armée belge, lors de l’indépendance de la Belgique. Ses premiers patients sont des blessés lors de l’invasion hollandaise de 1831. Très vite, il reçoit une charge d’assistant à l’université dans le service du Dr Fr. Jacmart, la charge de donner les leçons cliniques en obstétrique chez le Dr Van Solingen et le cours d’observation de la médecine. Par la suite, le recteur de la nouvelle université de Louvain parvient à le convaincre de rester pour fonder la nouvelle faculté de médecine et lui confie le recrutement de l’ensemble du staff.
Le 8 janvier 1831, Pierre Craninx est nommé à Louvain comme membre de la Commission des « Hôtels-Dieu » ; il reçoit aussi l’hôpital civil comme terrain d’action. Il s’agit surtout d’examiner les malades des établissements religieux, de la maternité et des asiles pour aliénés des Frères Alexiens et des Sœurs noires.
L’université d’état à Louvain a dû fermer définitivement ses portes en 1835 suite à la révolution de septembre 1830. Alors l’université catholique de Malines vient dans la foulée s’installer à Louvain. Pierre Craninx est sollicité pour y enseigner la médecine clinique et l’Hygiène et fait partie à 30 ans du groupe des 9 premiers professeurs de la faculté de médecine de cette « nouvelle université ».
Dans sa pratique clinique, Pierre Craninx introduit l’auscultation comme il l’a apprise des élèves de Laennec (1781-1826), l’inventeur du stéthoscope, et de Pierre Broussais (1772-1838) à l’Hôpital Necker à Paris lors de divers stages. Il pratique une médecine moderne recourant à l’usage fréquent du stéthoscope et sa clairvoyance clinique a fait sa renommée. Il pouvait exécuter un examen clinique quasi infaillible en confirmant son diagnostic par des études anatomiques et physiologiques. En cas de décès d’un patient, il faisait vérifier le diagnostic par une autopsie… Il n’hésitait pas à reconnaître ses erreurs lorsque l’autopsie mettait en lumière d’autres indications. S’intéressant aussi aux épidémies de typhus, de variole et de choléra, il se fit le chantre de la vaccination obligatoire.
C’était un travailleur infatigable, respecté par ses collègues, ses étudiants et les pauvres de Louvain à qui il prodiguait des consultations gratuites.
Pierre Craninx fut membre de l’Académie Royale de Médecine de Belgique dès sa fondation en 1841 et en devint président en 1884. Membre de nombreuses autres commissions, il fut aussi échevin de la Ville de Louvain et membre du conseil général des hospices et secours de la ville de Louvain. Il fut aussi membre de diverses académies étrangères, notamment celles de Berlin, d’Erlangen et de Rio de Janeiro et collectionnant durant sa longue carrière les honneurs et les distinctions. A côté des marques de confiance qui lui furent délivrées par le peuple, la Couronne lui a successivement décerné les honneurs suivants : chevalier, officier, commandeur dans l’Ordre de Léopold et in fine les titres officiels d’ennoblissement (le 31 janvier 1889). En outre, en 1855, il est nommé par Napoléon III Chevalier de l’Ordre de la Légion d’honneur. Et en 1879, il reçoit une décoration papale du Pape Léon XIII : l’Ordre de Saint-Grégoire-le-Grand. Cette distinction lui a vraisemblablement été attribuée en remerciement du traitement et de la guérison du nonce apostolique en Belgique en place à cette époque, Gioacchino Pecci, qui allait devenir plus tard … le Pape Léon XIII.
Un monument de la faculté de médecine de l’Université Catholique de Louvain
Tous les témoignages recueillis montrent le rôle de premier plan joué par Pierre Craninx dans cette faculté de médecine et ce, dès le début de sa carrière :
- En effet, le 28 juillet 1831, au terme de sa 1e année de cours, … « un de ses élèves au nom de tous, lui a présenté une superbe médaille en or portant d’un côté l’inscription suivante : « Au mérite de l’estimable professeur Craninx », et de l’autre : « Candidats en médecine ; Université de Louvain ; 28 juillet 1831. » En remettant à M. Craninx ce témoignage de reconnoissance, l’élève a prononcé des paroles qui prouvent jusqu’à quel point M. le Professeur Craninx est parvenu, par son travail et ses talens, à se concilier l’estime de ses élèves. Cette manifestation spontanée a ému jusqu’aux larmes le jeune professeur, du zèle et des talens duquel elle n’est cependant que la juste récompense. »1
- Une lithographie réalisée par Jean-Baptiste Madou lui est offerte par les Candidats en Médecine comme témoignage de reconnaissance pour ses excellentes leçons.2
- Sur la photo de la promotion de médecine 1871-1872, soit la 35e promotion de médecins à l’Université catholique de Louvain, Pierre Craninx trône au centre du premier rang qui regroupe le corps professoral de la faculté.

“Promotion de Médecine en 1871-1872 (Photographie)”, Éd. Archives de l’Université catholique de Louvain, © Université catholique de Louvain (Histoire de la Faculté de Médecine, https://archives.uclouvain.be/histoire-medecine/items/show/14053, consulté le July 7, 2019).
- Une copie en plâtre du buste en marbre de Pierre Craninx (par H. de Fierlandt) de 1872 est aussi visible dans la grande salle de lecture de la bibliothèque centrale de la K.U.L. (Place Ladeuze).

- La place centrale qui lui est réservée en 1884 sur l’image qui représente tous les professeurs de la faculté de médecine entre 1834 et 1884 ne laisse aucun doute sur le rôle tout à fait prépondérant joué par cet Hamme-Millois d’adoption dans la mise en place et l’histoire de la faculté de médecine louvaniste. 1884 est aussi l’année de sa mise à l’éméritat.


Pierre-Jean-Etienne Craninx (Photographie)”, Éd. Archives de l’Université catholique de Louvain, © Université catholique de Louvain (Histoire de la Faculté de Médecine, https://archives.uclouvain.be/histoire-medecine/items/show/15133, consulté le July 7, 2019)
- Citons aussi le très bel éloge funéraire fait par son collègue, le professeur Masoin sous forme de notice et dans le style un peu ampoulé de l’époque mais qui décrit bien la personnalité du disparu.3 Nous en reprenons le passage relatif aux funérailles à Hamme-Mille le 22 août 1890 avec l’office à 11h00 en l’église paroissiale de Hamme-Mille. (pp.586-587 de ladite notice)
« …A l’heure de ses funérailles une foule nombreuse d’amis fidèles accourut de tous côtés se réunir alentour de son cercueil dans l’habitation splendide où il avait coulé ses derniers jours. Au moment fixé il s’en alla derrière la croix et les bannières religieuses du village, sans aucun discours d’apparat, sans aucune salve de mousqueterie, sans l’imposant cortège de l’armée, sans que les accents éplorés d’une marche funèbre animassent la triste cérémonie : il l’avait ainsi décidé. Mais, du moins, le temps d’abord voilé s’éclaircit, comme si la nature avait voulu sourire une dernière fois à celui dont la longue et brillante carrière avait été si souvent illuminée par les sourires de la fortune et des honneurs. A travers les prés verdoyants et les moissons jaunissantes son cercueil s’avançait sous le modeste drap mortuaire du village et sous la toge académique. Au passage les paysans se découvraient respectueusement, s’agenouillaient même et se signaient dévotement. Dans le temple trop petit pour contenir la foule, l’Eglise fit entendre ses psalmodies funèbres où toutes les épouvantes de la mort se mêlent d’une manière sublime aux accents de l’espérance chrétienne.Enfin, les rites pieux sont achevés : le chant si pénétrant dans sa simplicité si émouvant pour ceux qui ont le souvenir des morts « In paradisum deducant te angeli » « que les anges du Seigneur vous conduisent au paradis » – ce chant à la fois douloureux et triomphal , s’élève et se déroule ; notre vieux maître est emporté sur les épaules de quelques robustes paysans, et il est déposé à l’ombre du clocher dans le petit cimetière du village pour qu’il y attente le jour suprême de la résurrection. ..»
- Enfin, à Louvain, le 15 octobre 1901, à l’occasion de la rentrée académique, une plaque commémorative en son honneur est annoncée dans son discours par Mgr Hebbelinck :
« Pour honorer la mémoire de leur vénéré Père, une des personnalités qui illustrèrent, dès le début, notre Faculté de Médecine, le baron et la baronne Craninx nous ont fait don d’une somme importante destinée à l’enseignement de l’anatomie. Elle nous mettra à même d’organiser définitivement un musée scientifique, où se complètera le travail commencé par l’élève dans la salle de dissection. NN.SS. les Evêques, dans leur réunion du mois de juillet, ont décidé de donner au musée le nom du Dr. Craninx et de consacrer le souvenir de la fondation par une plaque commémorative. »
Cette stèle est encore présente à l’Institut de Pathologie Vésale dans la rue des Frères Mineurs. Elle porte aussi le blason et la devise Craninx (tous deux devenus illisibles sur la tombe Craninx à Hamme-Mille) : « Fide et Scientia ».

Le 16 août 2019, Jean-Luc Lecluse, avec la collaboration d’Anne-Marie Wautié
La base de cet article est tirée du texte de l’article « Pieter Craninx (1805-1890) befaamd hoogleraar te Leuven » paru dans la revue bimestrielle « Geschiedenis der Geneeskunde » n°4 de août 2010 (14e année) – édition Garant – pp. 226-234, écrit par J.M. Debois, O. Steeno et F. Lacquet – http://www.md.ucl.ac.be/histoire/craninx/Article%20Craninx.pdf
1 : Extrait du journal « Le journal des Flandres » du 01.08.1831 Ed.1 p.2 (repris du Journal de Louvain) – Belgica press –KBR
2 : Jean-Baptiste Madou, “Pierre-Jean-Etienne Craninx (Lithographie)”, Éd. Archives de l’Université catholique de Louvain, © Université catholique de Louvain (Histoire de la Faculté de Médecine, https://archives.uclouvain.be/histoire-medecine/items/show/15113, consulté le July 7, 2019).
3 : Ernest Masoin, “Notice sur Messire Pierre-Jean-Etienne Craninx, professeur émérite à la Faculté de médécine (Notice biographique)”, Éd. Université catholique de Louvain, © Université catholique de Louvain (Histoire de la Faculté de Médecine, https://archives.uclouvain.be/histoire-medecine/items/show/15153, consulté le July 7, 2019)
4 : Extrait du journal « Le Patriote » du 16.10.1901 Ed.1 p.3 : Rentrée solennelle des cours à l’Université de Louvain – Belgica press -KBR